Des scientifiques remettent en cause l’étude du Lancet qui a suspendu l’utilisation de la chloroquine
Depuis son apparition à Wuhan, le virus Sars-CoV-2 mobilise l’attention des scientifiques. Et pour cause, il n’existe à ce jour aucun vaccin ou traitement spécifique à la maladie du Covid-19. En France, le professeur Didier Raoult a recommandé l’usage de la chloroquine et plus particulièrement l’hydroxychloroquine pour lutter contre la maladie. Mais son avis n’a pas fait l’unanimité au vu des effets secondaires mis en exergue par nombre de ses confrères. Pour trancher sur l’utilité de ces molécules, la revue The Lancet a publié une vaste étude mettant en évidence l’inefficacité, voire la dangerosité de ces traitements contre le coronavirus. Mais les questions persistent alors que de nombreux médecins et spécialistes demandent à avoir accès aux données utilisées. L’information a été relayée par nos confrères de Ouest-France.
Depuis que la chloroquine, une molécule prescrite depuis plusieurs années contre le paludisme, a été présentée en tant que traitement possible pour lutter contre le nouveau coronavirus, de nombreuses thèses se sont affrontées, soulevant nombre de contradictions et de débats parmi les scientifiques. En France comme à l’étranger, les partisans de cette molécule ont clamé haut et fort son efficacité, tandis que d’autres experts ont opté pour la prudence dans l’attente de résultats définitifs permettant de trancher sur la question.
C’est à cet effet que ce vendredi 22 mai, la prestigieuse revue scientifique The Lancet a publié une vaste étude pour apporter des éléments de réponse. Cela a d’ailleurs amené l’Organisation Mondiale de la Santé à prendre certaines mesures de précaution, à savoir la suspension temporaire des essais cliniques sur l’hydroxychloroquine (HCQ) menés dans plusieurs pays. De son côté, le Haut conseil de la santé publique a conseillé de ne pas utiliser la molécule pour traiter la Covid-19, à moins que cela ne se fasse dans le cadre d’essais cliniques. Le président américain Donald Trump a quant à lui décidé de suspendre l’utilisation de l’HCQ à titre préventif. Une décision qu’il avait “choisi de son propre chef après avoir reçu le feu vert de son médecin”, révèle Ouest-France dans un autre article.
Que dit l’étude ?
Si l’étude de The Lancet semble aussi sérieuse, c’est en raison du nombre de cas étudiés et des méthodes mises en oeuvre pour évaluer l’efficacité de la molécule initialement utilisée dans les traitements antipaludiques. L’analyse rétrospective a porté sur les dossiers médicaux de 96 032 patients dans 671 hôpitaux établis sur 6 continents entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020. Caractérisée par une ampleur inédite, elle conclut que “ni la chloroquine, ni l’hydroxychloroquine ne se montrent efficaces contre le Covid-19 chez les malades hospitalisés”. En sus, elle démontre la dangerosité de ces molécules, notamment en soulignant qu’elles augmenteraient les risques d’arythmie cardiaque et de décès.
Selon le Dr Mandeep Mehra, auteur principal de l’étude, “Il s’agit de la première étude à large échelle à montrer une preuve statistique robuste que ces deux traitements, qui font couler tant d’encre, ne bénéficient pas aux patients du Covid-19”.
Des scientifiques demandent à avoir accès aux données
Si on pensait qu’une étude d’une telle ampleur permettrait de clore le débat, il n’en est rien. En effet, de nombreux médecins souhaitent accéder aux données utilisées dans un souci de transparence pour évaluer les résultats publiés sur The Lancet. Sur Twitter, Todd Lee, expert en maladies infectieuses à l’Université McGill au Canada a par exemple demandé: Est-ce qu’ils peuvent donner les noms des hôpitaux canadiens dont ils affirment qu’ils ont contribué aux données, pour qu’elles puissent être vérifiées de façon indépendante ?”
Andrew Gelman, statisticien américain a quant à lui révélé sur le blog de l’université de Columbia avoir demandé l’accès à ces données par mail, sans réponse. En France, le professeur Didier Raoult qui qualifie l’étude de “foireuse” pointe du doigt une manipulation des données et l’étrange homogénéité entre les patients issus d’autant de continents différents, indique Le Monde.
Des erreurs ont été reconnues
Selon Surgisphere, une compagnie d’analyse de données de santé établie aux Etats-Unis, et dont le directeur est Sapan Desai, médecin et l’un des auteurs de la publication, 73 décès ont effectivement été classés par erreur en Australie alors qu’ils auraient dû être comptabilisés pour l’Asie.
Mais la société américaine se défend quant au partage des données, indiquant que “nos accords d’utilisation des données ne nous permettent pas de les rendre publiques” et soulignant avoir déjà admis que l’étude du Lancet n’était pas sans présenter certaines limites.
Yazdan Yazdanpanah, infectiologue à l’Hôpital Bichat regrette ce manque de transparence. “Ce n’est pas normal (…) On s’est beaucoup battus pour que les données concernant l’épidémie soient disponibles. Il est important qu’il y ait cette transparence”, souligne le médecin qui siège également aux deux conseils scientifiques Covid-19 instaurés par le gouvernement.