Peut-on se fier à son intuition ?
Pour prendre une décision, saisir une opportunité ou résoudre un problème, ce « sixième sens » nous rend bien des services. Peut-on le suivre sans risquer de se tromper ? Oui, mais à certaines conditions !
L’intuition est désormais décodée par les psychologues cognitivistes et les neuroscientifiques. Grâce à l’IRM (imagerie par résonance magnétique), ces derniers ont ainsi pu montrer que ce « superpouvoir » – qui peut jaillir sous la forme d’un « flash », d’une « petite voix intérieure » ou d’un pressentiment -mobilise, en quelques millisecondes, des aires cérébrales aussi variées que celles liées à la reconnaissance d’objets, de visages ou de formes, mais aussi la mémoire, l’exécution de comportements automatiques ou encore les émotions. L’intuition serait donc loin d’être un processus mental irrationnel, mais plutôt une forme de pensée ultrarapide et économique qui viendrait court-circuiter le cortex préfrontal, où loge notre raisonnement analytique conscient (beaucoup plus lent et gourmand en énergie). En d’autres termes, chacun de nous se constitue un stock d’histoires vécues, une sorte de « banque de données », dans laquelle il vient puiser sans réfléchir en cas de besoin. Mais attention, ce « système » en pilotage automatique et inconscient peut connaître des défaillances.
Mode d’emploi pour bien l’utiliser
N’y faites appel que lorsque vous êtes détendue
L’intuition ne délivre pas ses messages à un cerveau sous stress ou continuellement occupé. « Elle nous délivre le savoir en recombinant toutes les données, à la manière d’un superordinateur, explique le coach David Rock, spécialisé en neurosciences. Il faut mettre le cortex au ralenti afin de limiter l’activation des réponses qui ne sont plus utiles face au nouveau problème. »
Les bons réflexes
Quand on est bloqué, il ne faut donc pas hésiter à calmer son esprit en allant se promener ! Pour « ouvrir nos écoutilles », la psychologue Christine Sarah Carstensen recommande de ralentir globalement notre rythme (au moins cinq à dix minutes par jour). « On peut s’arrêter sur une image qui nous inspire ou un morceau de musique, s’adonner à la rêverie dans les transports en commun ou exercer son sens de l’observation en faisant attention à tout ce qui nous entoure. » Les moments particulièrement propices à ces expériences intuitives ? Le matin au réveil et le soir au coucher, lorsque nous pensons moins.
Connectez-vous à votre corps
L’intuition se fonde en partie sur nos émotions, a démontré une expérience conduite à la fin des années 1990 par Antonio Damasio et Antoine Bechara. Avec des parieurs invités à retourner des cartes pour gagner ou perdre des points, les chercheurs avaient utilisé un dispositif leur permettant de mesurer leur émotivité grâce à la moiteur de leurs mains. Au début, les joueurs tiraient les cartes parmi quatre tas sans savoir lesquels leur étaient favorables. Au bout de dix tirages, il a été observé des réactions de stress dès que leurs mains se dirigeaient vers une pile perdante au point même que, sans en avoir été conscients, ils se mettaient peu à peu à s’orienter vers les tas de cartes gagnants. La même expérience a été menée avec des patients incapables de ressentir des émotions à cause d’une lésion cérébrale. Le tirage de ce groupe s’est montré désastreux ! Conclusion : le corps sait capter des signaux subtils (baptisés « marqueurs somatiques ») et y réagir bien avant le cerveau rationnel.
Les bons réflexes
Avant de prendre une décision, soyez attentive aux messages que votre corps vous envoie : cœur qui s’accélère, transpiration, résistance musculaire… La coach Sophie Machot recommande même, lorsque vous hésitez entre deux options, de fermer les yeux, de respirer profondément par le ventre et de vous concentrer à tour de rôle sur chacune d’elles : visualisez-vous dans chaque situation, avec ses conséquences. Puis comparez vos deux états successifs, leurs résonances corporelles, émotionnelles… Laquelle des deux options était la plus évidente à vivre ? Mais attention à ne pas confondre ses intuitions avec des sensations viscérales comme la peur ou la faim, liées à un instinct de survie, qui peuvent, elles aussi, entraîner des réactions physiologiques. Vous avez la « prémonition » que l’avion dans lequel vous êtes assise va se crasher ? Dans ce cas, ce n’est pas une intuition, mais la peur qui parle !
Faites confiance à votre expérience
Un médecin qui sait immédiatement de quoi est atteint son patient, un pompier qui décide en un quart de seconde d’entrer ou non dans une maison en feu, un joueur d’échecs professionnel qui reconnaît, à la disposition des pièces du jeu, une défense affaiblie ou une attaque imminente, un tennisman qui anticipe l’endroit où la balle va atterrir selon la manière dont elle a été frappée… L’intuition n’a rien de magique. Elle s’appuie sur notre « cerveau inconscient », puissante et rapide machine à traiter les informations, qui les compare à nos expériences passées et en tire des conclusions sans passer par une réflexion logique. Aussi, plus on a d’expertise, plus notre intuition est fiable !
Les bons réflexes
Méfiez-vous de la sensation de « déjà-vu » – c’est un tour que vous joue votre cerveau – et n’utilisez votre intuition que dans des contextes familiers ou vos domaines d’expertise. Pour les décisions à faible enjeu ou à court terme, pourquoi pas. Mais pour changer de travail, déménager dans une autre région ou rencontrer l’amour, ne vous fiez pas à votre première impression : prenez votre temps pour peser le pour et le contre.
Luttez contre vos travers de pensée
Lorsque le « cerveau inconscient » consulte sa « banque de données », et opère son « balayage » rapide et automatique, des préjugés et des erreurs de perception (façonnées par notre éducation et le contexte social) peuvent surgir. « L’être humain se méfie de l’inconnu et déteste le hasard, qui le plonge dans un sentiment d’impuissance, rapporte Nicolas Gauvrit, chercheur en sciences cognitives à l’Ecole pratique des hautes études, à Paris. Alors il s’arrange pour créer du sens, prédire, généraliser, rechercher des causes et des intentions partout. » Cette façon d’appréhender le réel était utile à notre survie. Mieux vaut confondre un simple bâton avec un serpent que de passer son chemin sans y prêter attention ! Mais, aujourd’hui, associer le beau au bon et prendre nos désirs pour des réalités peut poser problème.
Les bons réflexes
Apprenez à détecter ce que les chercheurs baptisent les « biais cognitifs ». Les plus courants ? Le « biais de confirmation » (prendre uniquement en compte les faits ou les arguments allant dans le sens de nos croyances), le « biais de causalité » (imaginer une relation de cause à effet entre deux phénomènes isolés) et le « biais de généralisation » (confondre la partie avec le tout). Il faut aussi prendre nos souvenirs avec des pincettes : ils ne sont pas aussi fiables qu’on l’imagine. La clé ? Savoir, par moments, remettre en question notre système intuitif en nous confrontant à des points de vue contradictoires. « C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons », résumait magnifiquement l’éminent savant et philosophe Henri Poincaré.