Quelles sont les plantes anti-paludiques ?
La malaria est l’une des pathologies les plus anciennes – et les plus mortelles – de l’humanité. La sédentarisation et la concentration de l’habitat, depuis le néolithique, l’ont favorisée. Les fièvres qui la caractérisent sont connues et décrites depuis l’Antiquité, et cela fait au moins aussi longtemps que l’homme a tenté de soulager leurs effets par des plantes.
Voici plus de 2 000 ans que dans certaines régions de Chine les symptômes de la malaria sont soignés par une plante odorante de la famille des Astéracées, cousine de notre armoise commune, le Qing hao, de son nom latin Artemisia annua. Li Shizhen préconisait dans son Grand Traité d’herbologie de 1578 d’en faire macérer les feuilles dans de l’eau, puis de les piler dans un mortier afin d’en extraire le jus que devait boire le malade.
La malaria en quelques maux
La malaria est souvent connue sous le nom de « paludisme », du latin palus, paludis, « marais », car elle est transmise par des moustiques dont les larves se reproduisent dans les lieux humides – auquel le mal aria, le « mauvais air », fait également référence. Avec 220 millions de personnes atteintes et près de 500 000 décès par an – principalement des enfants de moins de cinq ans –, c’est la maladie parasitaire la plus répandue dans le monde. Elle est causée par un protozoaire du genre Plasmodium dont il existe 123 espèces, cinq d’entre elles étant transmissibles à l’homme. Plasmodium falciparum est celui qui cause le plus de décès humains. Le parasite, transporté par une femelle de moustique du genre Anopheles qui a préalablement piqué une personne infectée, est injecté lors d’une piqûre, principalement nocturne. Le Plasmodium commence par se réfugier dans le foie, d’où il sort pour se reproduire dans le circuit sanguin, ce qui détruit les globules rouges et libère des substances provoquant une forte fièvre. Il peut boucher les capillaires cérébraux et bouleverser le métabolisme au point d’entraîner la mort.
Une guerre qui n’en finit pas
Pendant la guerre du Viêt Nam, les combattants du Nord perdaient davantage de soldats des suites de la malaria que dans les combats. Ils se tournèrent vers le grand frère chinois dont les chercheurs s’attelèrent à l’étude des remèdes végétaux traditionnels et sélectionnèrent parmi plus de 2 000 plantes le Qing hao, évalué comme efficace et sans effet secondaire marqué. En 1972 en fut purifié le principe actif, une lactone sesquiterpénique baptisée « artémisinine », capable de tuer in vitro les Plasmodium responsables de la maladie. Cependant, l’artémisinine a un temps très court de résidence dans le corps, environ une heure, en comparaison d’autres molécules thérapeutiques comme la chloroquine, une molécule de synthèse inspirée par la quinine du quinquina (Cinchona rubra) – longtemps le remède de choix contre les fièvres paludéennes –, qui reste dans le corps pendant plusieurs semaines. Ce caractère force à renouveler fréquemment la prise d’artémisinine. Dans les années 1990 se manifestèrent des phénomènes de résistance récurrents du parasite aux médicaments classiques, en particulier à la chloroquine. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’intéressa à l’artémisinine, mais recommanda de l’associer à une autre molécule, afin d’accroître son efficacité et d’éviter, justement, que le parasite y devienne résistant, ce qui avait été observé au Cambodge. L’artéméther, une substance semi synthétique dérivée de l’artémisinine, est le complément de choix dans les médicaments antimalariens proposés aujourd’hui.
Ce que l’on sait moins…
Localement, dans les pays où sévit la malaria, de nombreux autres végétaux sont utilisés pour combattre le fléau, de façon plus ou moins traditionnelle. Ainsi en est-il du neem (Azadirachta indica), de la famille des Méliacées, jadis connu en français sous le nom de « margousier ». C’est un bel arbre au feuillage élégamment découpé, originaire de l’Inde et couramment cultivé sous les tropiques pour orner les parcs et les avenues. Malgré sa saveur extrêmement amère, son jeune feuillage est consommé comme légume de l’Inde au Cambodge. L’utilisation en médecine du neem est attestée depuis quelque 2 500 ans et la médecine ayurvédique l’emploie comme désinfectant dans un grand nombre de maladies. Mais curieusement, c’est essentiellement en Afrique que ses feuilles et son écorce sont utilisées comme antipaludéen, avec des résultats très inégaux et relativement peu documentés.
Parmi les nombreuses plantes réputées soigner la malaria, il en est une qui mérite que l’on s’y arrête, car elle a fait l’objet en 2004 d’une véritable étude scientifique. C’est l’Argemone mexicana, une « mauvaise herbe » commune dans le Sahel, bien qu’elle provienne du continent américain. Dans la région de Bandiagara, au village de Sikasso, une équipe internationale de médecins, de chimistes et d’ethnobotanistes soutenue par l’Agence suisse pour le développement et la coopération a suivi pendant plusieurs mois des patients atteints de malaria à Plasmodium falciparum – le parasite actuellement le plus dangereux, et dont existent des formes résistantes aux traitements conventionnels. Les malades ont été soignés par le chef du village, guérisseur traditionnel qui a appris de son grand-père l’usage de l’argémone et l’a déjà transmis à son fils.
Les parties aériennes de la plante, séchées, ont été bouillies pendant 3 heures dans de l’eau, à raison d’un kilo pour 10 litres. Le tradipraticien déterminait la dose à prendre par chaque individu en fonction de ses caractères particuliers – sexe, âge, état de santé. Les 23 premiers patients reçurent une dose quotidienne pendant 3 jours ; un second groupe de 40 personnes en prirent 2 fois par jour pendant 7 jours ; et les 17 restants 4 doses par jour pendant les 3 premiers jours, puis une dose par jour jusqu’au huitième jour inclus. Des prélèvements sanguins furent effectués tous les deux jours et analysés dans le laboratoire de terrain monté par l’équipe. La guérison fut estimée par l’absence de parasitémie ou de fièvre au quatorzième jour, vérifiée de nouveau au jour 28. Entre 60 et 75 % des patients des deuxième et troisième groupes furent guéris, contre seulement 35 % du premier groupe. La plante fut également testée in vitro contre le Plasmodium à l’Institut tropical suisse de Bâle, où les résultats s’avérèrent concluants. Par la suite, plusieurs autres études furent menées, qui conduisirent le ministère de la Santé du Mali à l’adopter au sein de l’arsenal thérapeutique du pays. L’Argemone mexicana reste toutefois largement inconnue comme plante antimalarienne – on la regarde même avec suspicion du fait de sa teneur en alcaloïdes, potentiellement toxiques. Sans doute oublie-t-on que « rien n’est sans poison » et que c’est au final le rapport bénéfice/risque qui doit guider le soin.
Un sujet… épineux
Originaire, comme son nom le laisse à supposer, d’Amérique centrale, l’Argemone mexicana ressemble bien davantage à un chardon qu’à un coquelicot, pourtant son proche parent dans la famille des Papavéracées. Il arrive d’ailleurs qu’on la surnomme « pavot épineux ». C’est une grande plante annuelle dont les tiges dressées peuvent atteindre un mètre de hauteur, aux feuilles plus ou moins profondément découpées, glauques – c’est à-dire d’un vert bleuâtre –, marbrées de blanc et bordées d’épines acérées. Ses fleurs possèdent quatre larges pétales jaunes et de nombreuses étamines. Toute la plante renferme un latex jaune. Introduite en Afrique dès le XVIIe siècle, l’argémone fréquente les décombres, les abords des habitations et les lieux vagues. Dans les régions d’origine de la plante, elle est utilisée comme analgésique, diurétique, cholagogue et anti-inflammatoire. En usage externe, on emploie son suc contre les verrues. La plante renferme des alcaloïdes iso quinoléiques – comme son cousin le pavot somnifère –, dont la sanguinaire. Ses graines en sont également riches et l’huile grasse que l’on en extrait a causé des empoisonnements.