Dépression : vers une médecine personnalisée ?
Pour 30 % des patients dépressifs, les antidépresseurs prescrits ne seront pas efficaces. Une équipe de chercheurs travaille sur des indicateurs utiles aux médecins pour prédire les personnes qui seront résistantes aux traitements classiques. Le point sur le sujet avec le docteur Claire Jaffré, interne en psychiatrie et doctorante en neuroscience.
Souffrance humaine, handicap, coût pour la société… La dépression est un enjeu de santé publique majeur. Elle touche 300 millions de personnes dans le monde. Ce chiffre est en constante augmentation. Une personne sur cinq a connu ou connaîtra de dépression au moins une fois dans sa vie. Dérèglement de l’humeur, la dépression est caractérisée par divers symptômes : tristesse, perte de l’élan vital ou de plaisir, ralentissement psychomoteur, idées de mort ou de suicide, faible estime de soi, troubles du sommeil ou de l’appétit, fatigue, manque de concentration, troubles de l’attention ou de la mémoire. Un diagnostic est posé lorsqu’une personne se sent faible ou perd de l’énergie quotidiennement, ainsi qu’au moins quatre autres symptômes, pendant au moins deux semaines. Selon le nombre et l’intensité des symptômes, la dépression peut être légère, modérée ou sévère. Les causes de la maladie sont multiples : événements de vie difficiles, stress chronique, susceptibilité génétique…
Des facteurs de résistance aux antidépresseurs
Chez 30 % des patients, les antidépresseurs standards prescrits ne sont pas efficaces. Les médecins sont alors contraints d’essayer d’autres traitements, y compris non médicamenteux, pour obtenir un résultat positif. Une terrible épreuve pour les personnes dépressives qui doivent alors attendre longtemps avant d’observer une amélioration de leur état psychique. De fait, en moyenne, un antidépresseur met trois semaines pour agir. Essayer plusieurs traitements fait perdre beaucoup de temps aux patients. Certains facteurs de résistance aux antidépresseurs sont connus. Parmi ceux-ci, les experts observent un déséquilibre du système des neurotransmetteurs au niveau cérébral (ce système qui permet aux cellules de communiquer entre elles) et une diminution du volume de l’hippocampe (région du cerveau qui joue notamment un rôle majeur dans la mémoire des événements passés). « Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces modifications cérébrales. On sait, par exemple, qu’une sécrétion anormalement élevée du taux de cortisol (hormone du stress) est toxique pour les neurones.
Cela modifie également l’équilibre du système des neurotransmetteurs. Le stress chronique, l’abus de substances toxiques (alcool, drogues), la coexistence d’autres maladies psychiques (troubles anxieux, par exemple) favorisent les dépressions résistantes », souligne le docteur Claire Jaffré.
Des tests pour mieux cibler les traitements
Aujourd’hui, le lien entre la motivation et les circuits de récompense au niveau cérébral est bien connu. La dopamine notamment est une hormone qui joue un rôle important en matière de motivation. « Or, les antidépresseurs proposés, en premier lieu, par les médecins ne ciblent pas la dopamine mais la sérotonine (hormone qui contribue à réguler l’humeur). Cela pourrait expliquer leur non efficacité chez certains patients », indique le docteur Jaffré. Face à ce constat, l’équipe de thèse du docteur Jaffré a conçu une batterie de tests qui permet d’évaluer les différentes facettes de la motivation. Cette « batterie motivationnelle » permet d’affiner la compréhension du patient par le médecin et de guider ses choix de traitements. « À l’aide de questions posées aux patients, nous souhaitons comprendre les critères qui déterminent leurs préférences.
D’autres tests consistent à leur faire effectuer des actions. Nous leur proposons une somme d’argent virtuelle. L’objectif est notamment de savoir s’ils sont d’accord pour effectuer l’action en échange de cette récompense ou si l’effort à effectuer leur paraît trop important en regard de la récompense proposée.
Un autre exercice consiste à savoir s’ils préfèrent recevoir une petite récompense immédiate ou s’ils sont prêts à attendre pour en recevoir une plus conséquente », note le docteur Jaffré.
De premiers résultats d’ici un an
En combinant cette batterie aux outils des neurosciences (modélisation mathématique du comportement et imagerie cérébrale) nous chercherons à comparer les effets de molécules aux mécanismes d’action différents, à prédire les patients chez lesquels les antidépresseurs conventionnels seront inefficaces. Dans le cadre de cette étude, les patients devront effectuer une IRM du cerveau. Cela permettra notamment d’identifier les anomalies cérébrales associées aux troubles de la motivation dans la dépression. À terme, grâce à cette étude, il sera possible à l’avenir, de pouvoir prédire, au sein des patients, ceux qui seront sensibles aux antidépresseurs conventionnels et ceux qui nécessitent d’emblée un traitement plus agressif de la dépression. Par exemple, la sismothérapie (anciennement connue sous le nom d’électrochoc) ou d’autres médicaments. « Cinq hôpitaux français sont impliqués dans cette étude qui devrait durer 3 ans et qui est soutenue à hauteur de 150 000 € par la Fondation pour la Recherche Médicale. Nous aurons les résultats préliminaires d’ici un an », conclut le docteur Jaffré.
3 questions à Clotilde Courau, marraine de la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM)
Pourquoi soutenez-vous la recherche sur les maladies psychiatriques ?
Je suis particulièrement sensible aux sujets touchant ces maladies car je connais des personnes qui en ont souffert. La France a été durant de nombreuses années en avance, en la matière, comparée aux pays voisins. Mais, aujourd’hui, la recherche est moins soutenue par l’État. Les chercheurs perdent beaucoup trop de temps à chercher des financements. Il faut les aider, les encourager. C’est un honneur pour moi d’apporter mon soutien à la recherche en étant marraine de la FRM.
Les personnes dépressives ont besoin de liens sociaux et de reconnaissance. Qu’en pensez-vous ?
Les maladies psychiatriques, quelles qu’elles soient, doivent être prises en charge de façon précoce. La prévention est essentielle : plus ces pathologies sont traitées tôt, plus les personnes ont de chances de s’en sortir. Pour cela, elles ont effectivement besoin de liens sociaux, de soutien de la part de leurs proches. Ces maladies ne sont absolument pas honteuses. Il faut rompre le tabou qui les concernent. Nous devons épauler et entourer les personnes qui en souffrent au lieu de les stigmatiser.
Quels messages souhaitez-vous délivrer aux adolescents pour prévenir la dépression et améliorer leur qualité de vie ?
J’aimerais leur dire que la santé est un véritable trésor que l’on nous a donné à la naissance. Il faut en prendre soin. L’adolescence est, certes, l’âge des premières expériences, de la rébellion et, parfois, de l’agressivité et des prises de risques. Mais ces risques doivent être maîtrisés. Il faut faire attention aux produits chimiques, aux drogues, à la consommation excessive d’alcool. Une bonne hygiène de vie (activité physique régulière, alimentation équilibrée, sommeil suffisant, gestion du stress…) est nécessaire à tout âge. Cela nous permet de mieux gérer les moments de souffrance et la maladie. Il faut entretenir cette merveilleuse machine qu’est notre corps, dès le plus jeune âge.