Cannabis, la drogue qui devient un médicament
En mettant à jour une tombe vieille de 2 500 ans dans la région du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, l’équipe d’archéologues dirigée par le professeur Hongen Jiang ne s’attendait probablement pas à cette découverte.
La sépulture contenait les ossements d’un homme âgé d’environ 35 ans, recouvert d’un linceul singulier: treize plants de cannabis, parfaitement bien conservés, étaient soigneusement disposés sur la partie haute de son corps. En analysant les végétaux, les chercheurs ont constaté qu’il s’agissait uniquement de pieds femelles, ceux qui portent les fleurs regorgeant de tétrahydrocannabinol (THC), le principal composé psychoactif du cannabis. Cette caractéristique laisse peu de doutes sur l’usage de la plante: déjà à cette époque, on l’utilisait à des fins récréatives… Mais pas seulement, comme l’atteste une autre découverte, en Sibérie cette fois. En effet, des restes de cannabis ont été retrouvés près de la momie d’une femme conservée dans la glace et décédée à peu près à la même époque. Les causes de sa mort ont été identifiées en 2014: elle souffrait d’un cancer du sein étastasé, à l’origine d’intenses douleurs. Ici, la consommation de cannabis était probablement destinée à atténuer ses souffrances.
Une histoire très ancienne
Ces deux découvertes archéologiques reflètent bien l’usage ancien de Cannabis sativa. Il fait partie des premiers végétaux domestiqués par l’Homme, probablement entre – 11 500 et – 10 200 selon une estimation récente, à la fois au Japon et en Europe de l’Ouest . Pendant des millénaires, il a été exploité de mille manières et sous les deux visages que nous distinguons aujourd’hui: le cannabis aux vertus médicinales et psychotropes et le chanvre qui fournit des fibres particulièrement résistantes, idéales pour la confection de vêtements, de cordes, de voilages et de papier.
Grâce aux incroyables capacités d’adaptation de ce végétal, sa culture s’est répandue à travers les âges sur l’ensemble de la planète.
Hors-la-loi au XXe siècle
Cet état de grâce a duré jusqu’au début du XXe siècle. La culture de la plante recule alors grandement: l’industrie papetière privilégie les fibres de cellulose issues du bois, quand l’industrie textile jette son dévolu sur le coton moins coûteux à exploiter ainsi que sur les fibres synthétiques d’acrylique, polyester ou nylon dérivées de l’industrie pétrolière. Le chanvre souffre de la mauvaise image grandissante associée à la consommation de cannabis, dépeint à l’époque comme la drogue de la violence. Dans leur lutte contre les stupéfiants, les États-Unis adoptent en 1937 le Marihuana Tax Act, une loi qui sonne le glas de la culture du cannabis. En France, sa consommation est interdite dès 1916 par une loi qui le déclare « substance venimeuse » et les surfaces consacrées à la culture du chanvre se réduisent comme peau de chagrin: de 176000 hectares en 1850, elles n’occupent que quelques centaines d’hectares dans les années 1960. Mais la plante n’a pas dit son dernier mot! À cette époque, l’Institut de la recherche agronomique (Inra) travaille à la mise au point de variétés de Cannabis sativa à teneurs très réduites en ce fameux THC sujet de tous les opprobres. La culture du chanvre à des fins industrielles va peu à peu se redévelopper dans notre pays, qui en est aujourd’hui le second producteur mondial après la Chine.
Cultiver du chanvre pour préserver la planète
La plante maudite retrouve peu à peu ses lettres de noblesse, et à juste titre: peu gourmande en eau, résistante aux parasites et aux maladies, sa culture est respectueuse de l’environnement. Elle représente une alternative à l’usage des produits dérivés du pétrole, dont les gisements s’épuisent. De plus, l’ensemble de la plante est exploitable, et ce, de mille manières! Elle sert à la fabrication de matières plastiques, utilisées dans le domaine de l’habitat, de l’emballage et même de l’industrie automobile. À ce titre, Henri Ford avait été visionnaire en mettant au point en 1941 un modèle de voiture dont la carrosserie était en partie composée de chanvre et qui roulait avec de l’éthanol issu de la plante. Aujourd’hui, ce sont de grands constructeurs automobiles comme BMW, Mercedes-Benz ou Bugatti qui jettent leur dévolu sur le chanvre. En parallèle, son usage textile connaît un regain : elle offre la plus résistante des fibres naturelles, assure une protection contre les UV, absorbe facilement l’eau et protège efficacement contre le froid. Une entreprise française, Couleur Chanvre, commercialise par exemple du linge de maison issu de chanvre cultivé en Normandie ; la démarche se veut écologique jusqu’au bout, avec l’emploi de teintures naturelles. D’autre part, les qualités du chanvre en font un excellent matériau dans le domaine de l’écoconstruction, notamment pour l’isolation, sous forme de laine de chanvre ou de copeaux de chènevotte, la partie de la plante débarrassée de ses fibres. La redécouverte de cette culture ancestrale est une formidable opportunité pour dynamiser les territoires agricoles et développer de nouveaux savoir-faire. La filière chanvre se structure ainsi dans de nombreuses régions françaises.
Une huile bonne pour la santé
L’huile de chanvre présente de nombreux atouts santé. Grâce à son profil équilibré en oméga-6 et oméga-3 – ces derniers faisant souvent défaut dans notre alimentation – elle pourrait exercer un effet protecteur sur le système cardiovasculaire. Elle s’avère également efficace pour lutter contre certaines affections cutanées, notamment l’eczéma. Sa richesse en vitamine E, un puissant agent antioxydant, lui confère d’intéressantes propriétés anti-âge exploitables dans le domaine cosmétique.
Des fleurs aux vertus médicinales
Mais on parle aussi beaucoup des vertus thérapeutiques de la plante, liées notamment à la présence de cannabinoïdes, une grande famille chimique qui se décline sous une centaine de composés, dont le fameux THC aux vertus psychoactives. Aujourd’hui, 29 États américains autorisent l’usage médical du cannabis, ainsi que des pays d’Amérique du Sud et d’Europe. En France, il reste illégal et seul un médicament à base de THC synthétique, le dronabinol, est autorisé dans le cadre du traitement de certaines douleurs. Pourtant, les preuves de l’efficacité du cannabis s’accumulent. Un récent rapport4 américain, rédigé par l’Académie des sciences, s’est basé sur l’analyse de 10 700 articles scientifiques consacrés aux effets du cannabis sur la santé, et a conclu à son efficacité contre les douleurs chroniques de l’adulte, les nausées et vomissements induits par la chimiothérapie et certains symptômes associés à la sclérose en plaques. Les médecins en sont même venus à s’intéresser à un cousin du THC, le CBD (ou cannabidiol), moins problématique sur le plan légal car dénué d’effets psychotropes. Et la molécule est très prometteuse : une étude récente, menée auprès de 120 enfants atteints d’une forme d’épilepsie très sévère, a montré la capacité du CBD à réduire la fréquence des crises réfractaires aux traitements usuels5 . Le laboratoire GW Pharmaceuticals a créé une formule à prendre par voie orale, l’épidiolex. En dehors de ce contexte pathologique, le grand public peut profiter des propriétés relaxantes du CBD, disponible sous différentes formes: liquide pour vapoteuse, teinture, huile et même fleurs séchées ou résine, en toute légalité.
À mesure que la science valide ses qualités, on redécouvre sous un nouveau jour cette plante sujette à tant de controverses. Apprendre à en tirer profit tout en gérant les risques d’une consommation inadaptée est le défi des prochaines décennies!