Jean-Marie Pelt : « Les plantes sont porteuses de valeurs fondamentales »
Biologiste, pharmacien agrégé, président de l’Institut Européen d’Écologie, fondateur de la Société Française d'ethnopharmacologie, auteur de nombreux livres sur les mystères du monde végétal, Jean-Marie Pelt est connu par tous ceux qui s’intéressent aux plantes. Avec grande humilité et générosité, il partage son immense savoir basé sur 60 ans d’étude du végétal et nous fait comprendre à quel point il est important que la science ne se dissocie pas de la tradition. Merci Monsieur Pelt !
Dans toutes les cultures du monde, on rencontre des individus qui soignent par les plantes. Mais en France, on dirait que nous les avons un peu oubliées…
C’est vrai. Nous sommes assez rapidement passés d’un monde pré scientifique à l’idéologie moderne. Basée sur le progrès et sur la science, cette idéologie a tendance à refouler dans l’obscurantisme du passé les savoirs traditionnels. Avant son arrivée, la nature a toujours été respectée, même si parfois elle était vue comme une force dangereuse. Elle était considérée comme belle et l’on pensait qu’elle reflétait la beauté du Créateur. On arrivait même à dire qu’il y avait deux voies pour rencontrer Dieu : la Bible et la nature ! Puis ce respect pour la nature et les plantes s’est perdu… Je me souviens que dans les années 60, quand j’ai commencé à exercer ma profession de pharmacien, la tendance était claire : les plantes douces devaient disparaître des étals avec tous les herboristes qui les dispensaient !
Néanmoins on remarque aujourd’hui un intérêt grandissant pour l’usage traditionnel des plantes. Quand on chasse la tradition par la porte, revient-elle par la fenêtre ?
Oui, et le mouvement ne fait que s’amplifier ! Le début du regain d’intérêt pour les traditions a certainement été le mouvement hippie né aux États-Unis dans les années 60. Il a marqué un retour à la nature dans les sociétés de consommation comme la nôtre avec la redécouverte des tradipraticiens. Ainsi les gens ont commencé à s’intéresser aux peuples amérindiens – qu’on appelait « sauvages » ! – et à écouter leur message de fusion profonde avec la nature.
Vous avez contribué à diffuser ce renouveau ! Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre les pieds sur le chemin des traditions ?
J’ai beaucoup voyagé dans le monde et j’ai constaté que la tradition est riche de connaissances. Pendant tous mes voyages, j’étais admiratif, curieux et je pensais que les savoirs traditionnels méritaient d’être explorés d’un point de vue scientifique et rigoureux. J’ai alors fondé l’Institut Européen d’Écologie en 1971. Nous avons travaillé avec l’ONU pour valoriser les traditions à base de plantes utilisées partout dans le monde. En 1977, le directeur de l’OMS a plaidé pour la reconnaissance de l’aspect positif des pharmacopées traditionnelles du monde entier ! Ensuite j’ai créé la Société Française d’ethnopharmacologie pour étudier les tradipraticiens de façon scientifique. Cependant il était difficile de mettre en évidence la valeur thérapeutique des plantes à travers les critères de la pharmacologie et de la toxicologie de l’époque. Il était en effet impensable pour un scientifique de prendre en considération la plante entière, seule la molécule avait de la valeur si l’on voulait suivre une approche scientifique ! Mais nous avons eu cette audace et nous avons constaté que le tout est plus que la somme de toutes les parties.
Après avoir cherché, avez-vous trouvé des confirmations scientifiques aux connaissances avancées par les tradipraticiens ?
Oui ! Nous avons travaillé sur 20 plantes à vocation hépatorénale venant de différentes traditions. On les a soumises à des expérimentations rigoureuses et on a en a trouvé 15 qui avaient une réelle efficacité. Cela correspond à 75% de succès, un résultat impressionnant.
Comment les tradipraticiens, sans livres ni microscopes, sont-ils arrivés à la connaissance des propriétés thérapeutiques des plantes ?
Parfois par l’observation du comportement des animaux qui utilisent des plantes pour se soigner. Mais il ne faut toutefois pas oublier la théorie des signatures, qui reste très mystérieuse… En effet, celle-ci prétend qu’une plante indique par un signe son application thérapeutique. Il s’agit d’une approche qu’on retrouve dans toutes les traditions !
Elle dit qu’il existe une cohérence dans la nature. Celui qui observe correctement les signes trouvera donc une cohérence entre la plante et sa vertu thérapeutique. Par exemple, toutes les traditions s’accordent à dire que les plantes ayant un suc jaune (la même couleur de la bile) trouvent une indication pour le foie !
Nous acceptons facilement l’idée que les tradipraticiens aient acquis des connaissances par observation ou par expérimentation. Mais certains d’entre eux disent apprendre directement par les plantes. Ils prendraient même des hallucinogènes pour mieux « entendre » le message des plantes… Cela perturbe notre esprit cartésien. Qu’en pensez-vous ?
Ces idées nous perturbent car elles sont juste en dehors de notre culture ! Mais il s’agit d’une vision du monde qui n’est pas incongrue dans la culture dans laquelle elle s’exprime. Il faut juste avoir les bases suffisantes pour connaître les mécanismes. Il y a trente ans, je suis allé voir les vaudous au Benin, en Afrique, accompagné par un grand spécialiste afin qu’il me protège. J’ai ainsi pu travailler avec un grand praticien vaudou qui connaissait les plantes mieux que moi ! Il m’a fait découvrir les propriétés bénéfiques de beaucoup d’entre elles. Il connaissait déjà les vertus de l’aloé vera pour la peau, alors que cette plante n’était pas encore utilisée en cosmétologie avec le succès qu’elle rencontre de nos jours. Quand je lui ai demandé comment il faisait pour connaître une si grande variété de plantes ainsi que leurs vertus, il m’a avoué qu’il mangeait des graines d’hipoméa, une plante hallucinogène, pour « parler » avec son père défunt et avoir des conseils sur le traitement à conseiller à chaque patient. Il a poursuivi en m’expliquant que, contrairement à moi, il n’avait pas besoin des livres pour apprendre car il avait un accès direct à la connaissance ! Étonnant, n’est-ce pas ?
D’autant plus qu’il avait vraiment une connaissance très approfondie ! Il ne faut donc pas mépriser ces traditions car elles peuvent avoir un pouvoir considérable ! Je reste émerveillé par ce savoir colossal ! Notre approche scientifique n’a pas permis de développer notre savoir empirique. Encore aujourd’hui, beaucoup de personnes pensent que la vision de certains peuples n’est rien d’autre que du baratin. De nombreux scientistes considèrent que ces traditions n’ont aucune valeur. Ils n’y voient que de l’obscurantisme et pensent que les autoroutes de la science nous permettent d’éviter ces « boniments ».
Acceptez-vous ces propos scientistes ?
Pas du tout ! Il n’y a pas de raison de considérer qu’une culture n’a pas un potentiel qui lui est propre. D’ailleurs, il est souvent très important parce qu’il a été accumulé pendant des siècles, vérifié et expérimenté. La tradition est porteuse de valeurs fondamentales !
À votre avis, qu’est-ce que les tradipraticiens possèdent et que nous n’avons pas ?
Ils ont souvent la cohérence des choses. Contrairement à nous, ils pensent que l’univers a un sens ! Je parle du sens de l’univers dans mon dernier livre, écrit en collaboration avec Pierre Rabbhi, Le monde a-t-il un sens ? aux éditions Fayard.
À propos de pratiques hors du commun, il existe des individus qui font pousser des légumes à la taille extraordinaire, par exemple à Findhorn, en Ecosse, ou au Mexique où il semblerait qu’un homme y reproduise les mêmes expériences. Quand on les questionne, ils disent tout simplement demander à la plante ce dont elle a besoin… Comment l’expliquez-vous ?
Ce sont des gens qui pensent que tout se tient avec cohérence. Ils pensent que dans la nature il existe un lien entre le microcosme – l’homme – et l’univers. L’homme serait une sorte de « résumé » de l’univers, ce qui était la pensée en vigueur chez nous jusqu’à la Renaissance. Aujourd’hui, dans la pensée occidentale, la vérité est représentée par une science qui ne s’appuie pas sur les traditions.
Que faudrait-il souhaiter à la science ?
De l’humilité ! Et également de la capacité de synthèse. La science a souvent des micro-savoirs innombrables sans une vision de synthèse. On ne demande plus à un universitaire d’avoir un savoir universel. C’est dommage.
Que les plantes vous ont-elles appris ?
Le sens de la beauté avant tout. Puis celui du respect ainsi qu’une attitude de coopération qu’il faudrait adopter à la place de celle de domination.