Les plantes dépolluantes : mythe ou réalité ?
Chacun sait qu’il est possible de lutter naturellement contre la pollution de nos intérieurs simplement… en faisant appel aux plantes ! Du moins, cela semble tenu pour acquis dans la conscience collective. Mais qu’en est-il dans la réalité ?
Hydrocarbures, métaux lourds, pesticides, etc. sont autant de composés douteux qui polluent l’eau que nous buvons, le sol sur lequel poussent nos fruits et légumes, mais aussi l’air que nous respirons, qui plus est dans nos intérieurs. Les peintures et produits d’entretien ou cosmétiques, mais également notre linge, ou notre mobilier, n’y sont pas pour rien. La plupart libèrent des composés organiques volatiles (COV), parfois très néfastes, capables de provoquer des troubles allant de la simple irritation oculaire ou cutanée au développement de problèmes respiratoires tels que l’asthme. Si les méfaits de substances comme le benzène sont avérés, nous manquons parfois de preuves pour affirmer la toxicité de certaines de ces molécules. Cependant une chose est sûre : où que nous soyons, nous en absorbons chaque jour une quantité plus ou moins importante via l’atmosphère, l’eau et l’alimentation. Et nous ne savons pas toujours quelles conséquences délétères cela pourrait engendrer à la longue. Alors, autant essayer de s’exposer le moins possible, en commençant par agir directement là où nous en avons l’opportunité : dans nos maisons. Par bonheur, nos plantes chéries auraient la faculté de pouvoir absorber toutes ces molécules indésirables pour nous rendre une atmosphère beaucoup plus saine… Mais pouvons-nous vraiment compter sur elles ?
Jamais deux sans trois ?
Des plantes capables d’absorber le toluène, d’autres le xylène ou encore l’ammoniac… Quelle aubaine ! De tels arguments marketing sont monnaie courante chez les fleuristes, sur le Net ou dans les journaux. Si bien que la plupart d’entre nous semblent considérer qu’il s’agit là d’un fait immuable. Malheureusement, un très sérieux avis de l’Ademe publié en 2013 vient compliquer un peu les choses. En effet le vaste projet PHYTAIR, lancé en vue de répondre à de nouveaux enjeux sanitaires, fit état de résultats tout à fait décevants. Ce projet débuta en 2001 et se poursuivit jusqu’en 2012, avec pour objectif d’achever 3 phases d’expérimentation. Les premières phases qui se sont déroulées en laboratoire ont bien conclu à un impact positif des plantes sur la qualité de l’air pour les trois polluants étudiés (benzène, formaldéhyde et monoxyde de carbone). Le rôle significatif du substrat sur lequel se développent les plantes en pot, avec son complexe d’interactions microbiennes et racinaires, fut nettement mis en évidence. Cependant, la dernière phase, consistant à tester les plantes en conditions réelles (notamment en termes de ventilation) dans la maison MARIA, a révélé des taux d’absorption insignifiants. À tel point que l’Ademe (L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) considère que le terme de “plantes dépolluantes” n’est pas approuvé scientifiquement en considération des niveaux de pollution couramment trouvés dans les ménages ». Une situation qui ne laisse plus vraiment d’espoir…
Une chimère venue de l’espace
Si la nouvelle ne date pas d’hier, il semble qu’elle fut difficile à avaler, compte tenu de sa faible médiatisation à l’époque (et encore aujourd’hui). Cela n’est peut-être pas si étonnant lorsque l’on sait que cette croyance populaire au sujet des « plantes dépolluantes » est née suite à un prestigieux rapport de la Nasa. Dans les années 1980, le jeune chercheur Bill Wolverton, engagé par la célèbre agence spatiale américaine, étudia les effets des plantes d’intérieur sur la qualité de l’air. L’expérience consista à placer des plantes en pots dans de petites enceintes à l’intérieur desquelles étaient injectées des doses contrôlées de polluants, en l’occurrence, formaldéhyde, benzène ou trichloréthylène. Au bout de 24 heures, des analyses mesurèrent la quantité de polluant restant dans les enceintes.
Résultats obtenus dans l’expérience de B. Wolverton
Tableau 4. Produits chimiques éliminés par les plantes domestiques dans une chambre expérimentale scellée pendant une période d’exposition de 24 heures
Formaldéhyde | Benzène | Trichloroéthylène | ||||||||
Initial (p/m) | Final (p/m) | % éliminé | Initial (p/m) | Final (p/m) | % éliminé | Initial (p/m) | Final (p/m) | % éliminé | ||
Dragonnier parfumé Dracaena fragrans ‘Massangeana’ |
20 | 6 | 70 | 14 | 11 | 21,4 | 16 | 14 | 12,5 | |
Chrysanthème des fleuristes Chrysanthemum grandiflorum |
18 | 7 | 61 | 58 | 27 | 53 | 17 | 10 | 41,2 | |
Gerbera Gerbera jamesonii |
16 | 8 | 50 | 65 | 21 | 67,7 | 20 | 13 | 35 | |
WarneckiiDracaena Warneckii | 8 | 4 | 50 | 27 | 13 | 52 | 20 | 18 | 10 | |
Ficus | 19 | 10 | 47,5 | 20 | 14 | 30 | 19 | 17 | 10,5 | |
Essai contrôlé | 18 | 17,5 | 2,8 | 20 | 19 | 5 | 20 | 18 | 10 |
La moyenne des résultats obtenus pour les différentes plantes testées indiquait une diminution de 21,8 % de la concentration pour le trichloréthylène, de 44,8 % pour le benzène et 55,6 % pour le formaldéhyde. Spectaculaire ! Du moins si l’on se réfère à ces seules données. Mais il faut prendre en compte les conditions de l’expérience, qui ne reflètent pas exactement la réalité. La petite taille des enceintes utilisées, dont le volume (max 0,9 m³) incomparable à celui d’un espace de vie ou de travail standard, forçait un confinement des polluants aériens, qui ne pouvaient faire autrement que rentrer en contact avec les plantes. Dans les conditions d’aération d’une pièce classique, nos végétaux ne « captent » pas aussi bien les substances indésirables. De plus, dans l’expérience, chaque plante n’était confrontée qu’à une unique source de pollution, tandis que nos intérieurs en renferment un cocktail… Tout cela explique peut-être, en partie, pourquoi la sortie du contexte de laboratoire, indispensable à la validation de ces travaux, reste pour l’heure peu concluante.
Moins de polluants, plus d’aération
Mais alors, si nous ne pouvons guère compter sur les plantes pour assainir l’air ambiant de nos bureaux ou de nos maisons, que faire pour ménager notre santé ? Le projet PHYTAIR nous révèle que «l’aération et la ventilation restent bien plus efficaces que l’épuration par les plantes». C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à ouvrir les fenêtres chaque jour dans toutes les pièces de la maison, y compris en hiver pour évacuer le monoxyde de carbone et autres polluants générés par les chauffages d’appoint. Bien évidemment, le bénéfice n’en sera que meilleur si l’on essaye de changer nos habitudes afin d’introduire le moins possible de substances douteuses dans notre environnement. Pour ce faire, évitez les aérosols (déodorants, bombes parfumées, insecticides…) et réduisez au strict minimum l’usage de produits d’entretien. Privilégiez les matières naturelles telles que le vinaigre blanc, le bicarbonate de soude, le savon de Marseille ou à l’huile d’olive… Des valeurs (plus) sûres et dans certains cas moins onéreuses ! En d’autres termes et comme toujours, il ne semble pas y avoir de solution miracle pour protéger notre santé et notre environnement. Nous sommes les acteurs prioritaires de notre quotidien, qui reflète notre manière d’être et nos pratiques.
Une perspective d’avenir ?
Couramment utilisés pour le traitement des eaux, les biofiltres visant à éliminer la pollution aérienne commencent à fleurir, notamment sous la forme de murs végétalisés. Or, le mécanisme ne fait pas vraiment appel aux plantes elles-mêmes, et c’est là qu’il apparaît si astucieux ! Car, comme indiqué précédemment, c’est bien la rhizosphère avec tout son cortège de micro-organismes qui joue un rôle déterminant dans la dégradation des polluants. Ainsi l’air ambiant est envoyé directement vers le substrat des plantes, grâce à un système de ventilation adapté. Si la méthode doit encore faire ses preuves, elle a déjà conquis les plus grandes villes comme Montréal, Madrid, Paris ou Bangkok et laisse entrevoir un horizon prometteur.