Quand des médecins se livrent à des abus sexuels sur des patientes
En tant que patient, vous placez une grande confiance dans vos médecins. C’est pourquoi il est particulièrement perturbant d’entendre qu’ils agissent d’une façon qui va totalement à l’encontre des pratiques éthiques du serment d’Hippocrate qu’ils prêtent. Tel est le cas dans un essai anonyme paru dans le journal Annals, dans lequel l’auteur décrit deux cas de harcèlement ou d’abus sexuel dont des médecins se sont rendus coupables envers des patientes.
L’auteur rapporte ce que l’un de ses étudiants en médecine, David, a révélé ce qu’il s’est passé alors qu’il assistait un médecin qui préparait une patiente pour une hystérectomie vaginale : « Pendant qu’il lavait et frottait ses lèvres et l’intérieur de ses cuisses, il m’a regardé et a dit : ‘Je parie qu’elle y prend du plaisir’. Il m’a fait un clin d’œil et a ri ». David a admis avoir ri lui aussi, simplement parce qu’il ne savait pas quoi faire d’autre.
Ensuite, l’auteur donne un exemple écœurant de son propre passé, quand un interne dansait en chantant « La Cucaracha » alors que sa main était dans le vagin d’une femme. « Il continuait à danser, raconte-t-il, expliquant que son rôle était de tenir le genou de la femme pendant que l’interne réalisait un massage utérin. « Et puis, il m’a regardé. J’ai commencé à me balancer à son rythme. Mes pieds bougeaient. Je chantonnais et riais avec lui ». Quelques instants plus tard, l’anesthésiste leur a ordonné d’arrêter et ils l’ont fait. Ces entorses à l’éthique sont choquantes, peut-être parce que les gens sont souvent si angoissés quand il s’agit de problèmes de santé, et que des réactions insensibles envers leur corps leur paraissent particulièrement détestables. Mais le problème est plus profond.
La vérité sur les agressions médicales
Même si toutes les agressions sont horribles, ces histoires font plus de bruit parce que notre instinct naturel est de faire confiance aux médecins. « Les professionnels de la santé détiennent un pouvoir immense sur les patients, affirme Nancy Hensler, psychologue à Washington. Leur devoir sacré est de guérir. Comme le montrent ces récits, ils peuvent largement abuser de ce pouvoir ».
Si vous faites partie de ces victimes, en plus de potentiellement perdre confiance en ce corps de métier qui est supposé vous garder en sécurité, le niveau d’impuissance quand vous êtes sous anesthésie ne fait qu’empirer la situation. « Être violée quand vous êtes dans une situation de vulnérabilité est hautement traumatisant, que ce soit enregistré consciemment ou inconsciemment, au niveau de la mémoire procédurale », ajoute le docteur Hensley.
Oui, c’est vrai : votre corps peut se rappeler de choses qui sont survenues quand vous étiez inconscient. « De tels traumas peuvent être stockés dans votre corps pendant de nombreuses années et sont connus pour être corrélés avec des problèmes physiques et mentaux sur le long terme, comme des désordres anxieux, du stress post-traumatique ou un dysfonctionnement sexuel », déclare-t-elle.
Il existe un parallèle glaçant entre ce type d’abus sexuels par des médecins et le type de drogues du viol que l’on peut trouver dans les boîtes de nuit. « Ces incidents médicaux ne sont pas différents des histoires rapportées par les participantes à des fêtes universitaires qui ont subi des violences physiques et des plaisanteries crues sur les femmes ivres ou droguées », déclare Nancy Hensley. Elle accuse l’attitude blasée de la société envers le corps des femmes. « Une réalité pernicieuse en jeu est que ces histoires résultent de la perversité de la violence envers les femmes, déclare la psychologue. Il y a une acceptation dans la société qui encourage ou consent silencieusement à ce que le corps des femmes soit considéré comme un objet, soit moqué et violé, que ce soit conscient ou inconscient. »
Cette objectivation participe d’une dynamique qui est au cœur de différents processus de sexisme, y compris celui-ci. « Ce type de comportements utilise le patient à une fin bizarre, qu’il s’agisse d’une gratification sexuelle ou de l’exercice de son pouvoir sur quelqu’un, analyse le docteur Lawrence Nelson, juriste, bioéthicien et professeur à l’Université de Santa Clara. C’est une terrible violation de l’éthique de la profession que de faire quelque chose qui ne soit pas au bénéfice médical du patient mais un abus de pouvoir. »
Comment éviter que cela vous arrive ?
Première chose : dans un monde idéal, il ne vous appartiendrait pas de prévenir une inconduite. « L’importance de créer une politique de tolérance zéro pour des comportements aussi irrespectueux devrait peser sur la communauté médicale, affirme le docteur Hensley. Vous pouvez enquêter sur des praticiens potentiels en vous renseignant sur eux sur le site de l’Ordre des Médecins pour vérifier qu’ils ne font pas l’objet de plaintes pour abus sexuel, ou pour voir les avis d’autres patients sur eux. »
Une fois que vous avez choisi votre médecin, demandez-lui quelles garanties il a instaurées pour prévenir tout abus sexuel. « La façon dont il répond vous en dira beaucoup, affirme Nancy Hensley. Est-il dédaigneux ou préparé à traiter ce problème ? » Cela lui fera aussi comprendre que vous êtes décidée à garder le contrôle de votre santé, ce qui est une bonne mesure de prévention. Enfin, écoutez votre instinct, conseille la psychologue. Si votre intuition tire la sonnette d’alarme et si vous n’avez pas confiance en lui, même sans preuve, tournez-vous vers quelqu’un d’autre.
Que faire si cela vous arrive ?
« Vous avez plusieurs options si vous pensez être dans une telle situation. D’abord, vous devriez contacter la police », conseille Paul Saputo, avocat à Dallas. La loi varie d’un pays à l’autre, donc le fait que cet acte soit considéré comme une agression dépendra des circonstances spécifiques. Vous pourrez donc engager des poursuites soit pour agression, soit pour erreur médicale, précise-t-il.
Lawrence Nelson recommande pour sa part de vous adresser à l’institution en cas de harcèlement ou d’abus sexuel, en l’occurrence l’Ordre des Médecins, plutôt que d’aller en justice. « La plupart des Ordres de médecins ne veulent pas que le public sache que leurs praticiens violent l’intégrité physique de leurs patients, dit-il. Vous devriez essayer d’obtenir un accord à l’amiable sans faire intervenir un avocat car passer par le système judiciaire est coûteux et lent ». Si d’autres patients se plaignent de la même chose, cela pourrait inciter l’Ordre concerné à punir le médecin pour faute grave.