L’huile de monoï, l’huile sacrée du bout du monde
Si pour vous, le monoï évoque le soleil, la plage et une peau hâlée et surtout, s’il n’évoque que ça, c’est que la dimension sacrée de ce soin ancestral vous a échappée. Pour l’instant...
Pour lever le voile sur ce soin à la fois mystérieux et si sensuel, il nous fallait traverser la planète, via les ondes, et partir à la rencontre d’Éric Vaxelaire, conseil en stratégie commerciale et marketing du Tahiti Consulting Group. Pour lui c’est certain, le Monoï (du tahitien « mono’i », huile parfumée) n’est pas qu’une huile qui sent bon les vacances : « Dans les années 80, on voyait le monoï comme un soin lié au soleil, précise-t-il. Or, il faut savoir que pour les Polynésiens c’est un produit sacré, un vrai soin en médecine traditionnelle. »
Emblème de la Polynésie, au même titre que le tapa, ces étoffes obtenues à partir de l’écorce de certains arbres (frappée de nombreuses fois pour être attendrie, affinée et étirée sur lesquels sont souvent reproduits des tatouages eux-mêmes ancestraux) et qui servent à confectionner des étoles destinées à envelopper aussi bien ceux qui poussent leur premier cri que ceux qui délivrent leur dernier souffle. Le monoï et le tapa sont des symboles puissants et ancestraux de la culture polynésienne. Tous deux issus du monde végétal, la coco et la fleur de tiaré pour l’un, l’écorce des arbres pour l’autre. Tous deux en contact intime, avec la peau. Tous deux ayant pour mission de servir d’écrin au corps autant qu’à l’âme. Le monoï, en particulier, remplit ce rôle avec délicatesse.
Une alliance opaline
Cette huile, aux multiples vertus, exhale un parfum unique issu d’une fleur blanche, le tiaré, fleur de gardénia taitensis, arbuste présent dans presque toutes les îles du Pacifique et atteignant jusqu’à quatre mètres de haut. Sa fleur qui éclot en neuf jours est d’une fragilité qui n’a d’égal que la puissance de son sillage. Reconnaissable par ses pétales de couleur blanche, parfois jaune, disposés en hélice et au nombre de cinq à neuf. « La fleur de tiaré est si puissante, qu’on dit qu’il suffit de la respirer pour chasser une migraine, affirme Éric Vaxelaire. Pour cocher les critères de l’huile d’appellation contrôlée, tout doit être conforme à ce qui a été défini en 1992 par un décret délivrant l’appellation “monoï de Tahiti appellation d’origine”. Pour obtenir ce monoï labellisé, on suit les étapes de la fabrication artisanale et ancestrale. Les noix de coco doivent être issues du cocotier nucifera. On extrait l’eau de coco de la chair du fruit, en pressant la chair râpée dans un linge. Cette eau est ensuite transformée en huile sous l’action du soleil. Les fleurs de tiaré sont récoltées en boutons (exclusivement sur le gardenia taitensis !) et utilisées dans les heures qui suivent la récolte, sans jamais dépasser 24 heures. Déposées dans l’huile, les fleurs macèrent une dizaine de jours. L’huile est puissamment imprégnée du parfum du tiaré. Si elle se solidifie à partir de 24°C, ni ses propriétés nourrissantes, hydratantes, réparatrices ni son parfum ne sont altérés. Les produits contenant le fameux monoï peuvent être estampillés du timbre attestant de cette appellation, mais il ne s’agit pas d’une obligation. »
L’ancestral revisité
Éric Vaxelaire se souvient d’avoir découvert le monoï à travers son histoire ancestrale : « Il existe toujours des personnes en Polynésie qui fabriquent le monoï de la façon dont leurs ancêtres les ont apprises. Dans les années 70, 80, les Français arrivés massivement sur les îles, se sont passionnés pour les produits si emblématiques : les paréos et l’huile de monoï. À ceci près que certains d’entre eux ont décidé de la reproduire de façon industrielle en associant des huiles X ou Y auxquelles ils ajoutent des parfums très entêtants. On était bien loin de la tradition. Cette tradition, il y a un peu plus de 30 ans, les Polynésiens ont décidé de la sauver, comme s’ils sauvaient leur âme. « C’est à ce moment qu’ils ont déposé cette appellation d’origine. Ils ont revendiqué ce rapport indissociable au temps, via le moment précis de la cueillette de la fleur et via la macération. Ils ont modernisé leur regard en objectivant un savoir-faire ancestral qui les a conduits à ne choisir que des sols coralliens pour les cocotiers, un sol favorisant la culture de cocos les plus grasses. Conscients que le respect des méthodes traditionnelles de leurs ancêtres devait passer par cette touche de modernité pour sauver le monoï, les Polynésiens se sont fédérés. »
Sarah, jolie mama
Sarah Vaki vit à Fatu Hiva, aux îles Marquises. Impossible de passer à côté de cette femme, ancienne institutrice, qui a la transmission chevillée au corps. Dans son jardin sont installés les quelques outils traditionnels qu’elle utilise pour trancher la coco, détacher la chair, la presser, recueillir l’eau devenue huile. Délicatement, elle y dépose les fleurs de tiaré de son jardin et montre ses gestes aux enfants, aux femmes du village, aux touristes admiratifs et respectueux. Et si vous passez par Fatu Hiva, Sarah vous parlera aussi du fameux tapa. Son autre trésor, son autre savoir-faire.
Le soin des rois
« C’est un produit magique, affirme fièrement Éric Vaxelaire. De tout temps il a été utilisé par les rois, les chefs pour protéger leur corps, puis est entré peu à peu dans la population par le soin quotidien des cheveux et de la peau. Il protège du soleil, mais aussi du froid lorsque l’on nage dans la rivière. Il booste la vitalité, au féminin comme au masculin. Avec, on masse les bébés pour les apaiser ou on aide la cicatrisation du nombril des nouveau-nés. Ici, la baignoire existe peu, le rituel passe par la douche à l’issue de laquelle on enduit sa peau propre et la pointe de ses cheveux de l’huile parfumée. »
Enfin, parce qu’il est indissociable de la vie du Polynésien, l’huile est le socle d’une tradition de massage instinctif, en famille, en fin de journée pour se délasser de sa journée de travail. Pour Éric Vaxelaire, il était capital de partager tous les bienfaits de cette huile trésor et c’est pourquoi en 2008 ont été créées la semaine du monoï et la route du monoï.
Une authenticité reconnue
Les touristes ont afflué, ils avaient à cœur de comprendre, d’apprendre. Pour la Polynésie, le plus important était de remettre à l’honneur les « mamas », garantes de la tradition des tapas autant que du monoï mais peu valorisées. Ces actions culturelles les ont mises en lumière. « On entendait dans les familles : Mama, tu me donnes une bouteille de monoï ? Mais trop peu imitaient leur art. Depuis quelques années, les mamas sont reconnues et une véritable collaboration s’est installée entre elles, les artisans et les industriels », se réjouit Éric Vaxelaire. Une seule certitude, pour bénéficier du « vrai » monoï de Polynésie, assurez-vous qu’il soit « AO », appellation d’origine. Pour aller plus loin, un conservatoire du tiaré de Tahiti vient d’ouvrir, une étude a été lancée en Polynésie pour observer tous les types de gardénia et travailler avec les services des parcs et jardins afin de bouturer de plus en plus de gardénias. Le monoï, un des piliers de la « mana », l’énergie vitale selon les Polynésiens, celle qui émane de la vie, de l’amour, de la nature et tout ce qui fait l’âme polynésienne.